La traductrice hongroise d'un certain nombre de mes écrits de théorie sur l'art m'a récemment envoyé un catalogue de l'œuvre d'Ágnes Eperjesi, une jeune artiste de son pays. La traductrice, Eszter Babarszy, est elle-même une critique de talent et je ne peux faire mieux que citer la lettre où elle m'explique pourquoi elle a eu l'impression que l'art d'Eperjesi devrait particulièrement m'intéresser:
Elle a trouvé que vos idées sur la transfiguration et le banal s'appliquaient à son œuvre et elle s'est inspirée de vos travaux. Sa trajectoire, longue et remarquable, l'a menée de la photographie expérimentale à une entreprise tout à fait unique consistant à récolter des emballages de produits de consommation courante et à s'emparer du modeste langage de signes des corvées ménagères ordinaires, afin de les recréer sous la forme d'objets beaux et ironiques.
Les produits en question—des lave-vaisselle, des aspirateurs, mais aussi des sous-vêtements—étaient apparemment destinés à l'exportation vers le monde entier, et donc, on peut le supposer, à s'intégrer dans des modes de vie qui, dans cette mesure même, doivent être partout assez semblables. Les images doivent donc elles-mêmes appartenir au code de la globalisation et être nécessairement universelles puisqu'elles doivent être lisibles par des consommateurs dont on ne peut compter qu'ils partagent la même langue. Ces signes montrent ce que les consommateurs ont besoin de savoir concernant les produits qu'ils ont achetés—par exemple, où se trouvent l'arrière et l'avant d'un caleçon… Ce sont des pictogrammes, ou même des isotypes—acronyme de "International System of Typographic Picture Education"—, ce genre de signes inventé à l'origine par le positiviste logique Otto Neurath, peut-être sous l'influence de la théorie wittgensteinienne du langage dite "picture theory". Neurath pressentait la globalisation quand il disait que "la méthode visuelle devient la base d'une vie culturelle et de relations culturelles communes". Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer l'utilisation qui en est faite internationalement dans la signalisation qui, sur les routes ou dans les aéroports, s'adresse efficacement à des conducteurs ou à des voyageurs qui ne lisent pas forcément la langue du pays. Les isotypes sont parmi les rares contributions utiles et pratiques de la philosophie moderne à la vie quotidienne de l'humanité. Lorsque ces pictogrammes sont recyclés—ou transfigurés—en œuvres d'art, l'universalité que cela implique les élève au statut de portrait de la société dans laquelle ces produits seront utilisés.
Je ne suivrai pas tout à fait Babarszy quand elle dit que les œuvres d'Eperjesi sont belles, et à vrai dire je suis bien embarrassé pour les décrire esthétiquement. Toutefois, je constate en effet que la transfiguration des isotypes en œuvres d'art opère un renversement intéressant de la distinction célèbre de Walter Benjamin. Grâce à elle, l'art de la reproduction mécanique a acquis une aura, en vertu de quoi ces images sont en mesure d'acquérir un intérêt esthétique qui leur manquait jusque là. Tout du moins, en tant qu'art, nous pouvons les regarder en critiques et relever leurs qualités esthétiques telles qu'elles sont. Le simple fait de savoir qu'un objet résulte de l'intention de produire une œuvre d'art peut déclencher en nous l'idée qu'il doit être beau. Mieux encore, nous utilisons en rapport avec eux cet adjectif habituel de l'appréciation esthétique, alors que nous ne l'utiliserions guère à propos des pictogrammes dont ils sont issus. Il se pourrait bien que l'adjectif "beau" ne soit qu'une manière de reconnaître l'art comme art, sans qu'il serve réellement à décrire l'art lui-même.
Viser la communication transculturelle pourrait supposer que les traits indiquant des différences ethniques doivent être effacés—les personnages ne sont représentés ni blanc, ni noir, ni rouge, ni jaune—, pour aboutir à des silhouettes abstraitement humaines qui, d'une certaine manière, ont l'air tout à fait "moderne". Mais est-ce que "avoir l'air moderne" est une caractérisation esthétique ou stylistique? Rejetant l'ornementation, le design moderniste visait à une espèce de simpification qui mena à la stylisation de la pictographie moderniste. Mais ceci n'explique pas pourquoi les isotypes sont stylisés de cette manière, plutôt imposée par la globalisation, et donc "avoir l'air moderne" n'est qu'une façon de parler. Quoi qu'il en soit, le pictogramme a subi une espèce de transformation esthétique durant le processus de sa transfiguration artistique, et ce quelle que soit la description qu'on en fournisse. La revalorisation esthétique d'images quotidiennes opérée par Eperjesi est aussi caractérisée que celle de Warhol transformant des polaroïds en portraits.
Quant à la description de l'œuvre comme "ironique", elle est vraie, mais elle est due moins aux images elles-mêmes qu'aux titres d'Eperjesi—à moins qu'il ne s'agisse de légendes, si l'on veut bien distinguer les titres qui décrivent les images de couverture des magazines, par exemple, de ces légendes qui complètent certains dessins humoristiques des journaux. Quoi qu'il en soit, titres et légendes expriment des pensées que les images seules ne peuvent pas exprimer. Eperjesi choisit souvent ses images dans l'intention de suggérer comment les femmes se voient elles-mêmes dans la Hongrie d'aujourd'hui, comment elles envisagent les tâches ménagères auxquelles le produit désigné par l'image est censé servir—à des femmes, bien évidemment. Une de ses images montre un homme, une femme et un enfant à bicyclette. Il est difficile d'identifier à quel produit elle fait référence, même si je tendrais à penser que celui-ci appartient à ce qu'on pourrait décrire comme la vie secrète des femmes. L'image pourrait nous montrer une femme vivant une vie active et intense grâce au produit en question. Quel qu'en soit la visée rhétorique, Eperjesi la légende ainsi: "Mon nouveau petit ami semble porter de l'intérêt à ma fille—j'espère que ce n'est pas du flan". (Fig. 1) C'est intéressant, car la mère est manifestement célibataire et en quête d'une relation nouvelle. L'ironie provient de cette implication que les femmes dans nos sociétés, quoique très largement libérées, se trouvent désavantagées dans leurs relations avec les hommes, que ce soit en Hongrie, en Amérique ou en Europe de l'ouest. C'est bien elles qui en sont réduites à assurer les tâches ménagères et à espérer que les hommes ne sont pas là uniquement pour les traiter comme des objets sexuels. L'ironie va donc bien plus loin que le pouvoir des isotypes. Après tout, les trois silhouettes pourraient très bien ne représenter qu'une famille banale.
De manière intéressante, la plupart des femmes sont représentées vêtues à l'occidentale, ce qui est plutôt devenu la norme isotypique, et je suppose que l'isotype des toilettes pour femmes, vêtu de sa jupe courte et triangulaire, est reconnu dans tous les aéroports du monde, y compris par des femmes portant la burkha. En revanche, comme l'a fait l'artiste, les titres/légendes doivent être traduits du hongrois dans la langue du pays de l'exposition—l'anglais, par exemple, dans le catalogue que j'ai consulté. L'anglais, quoique omniprésent, n'est pas isotypique. Même s'il était universellement utilisé, comme le latin jadis, il continuerait d'y avoir une différence entre les mots et les images, ce qui signifie que si les isotypes peuvent valider la "picture theory" du langage, ils ne le font que sans rapport aucun avec les langues naturelles telles qu'on les parle ou qu'on les écrit. La sémantique des phrases en langue naturelle diffère de la sémantique d'une phrase utilisée picturalement, comme dans une citation. Même si les citations aussi doivent être traduites.
Aussi tentant qu'il soit de poursuivre ces réflexions sur la sémantique artistique des tableaux d'Eperjesi, mon intention ici est d'utiliser son œuvre pour son extrême contemporanéité et la manière dont elle illustre la structure pluraliste qui en est venue à massivement définir la production artistique contemporaine, tout particulièrement depuis les années 1960 où les artistes ont d'abord commencé à explorer les possibilités d'utilisation d’une imagerie vernaculaire. J'ai déjà évoqué la question de l'indétermination des qualités esthétiques, mais je voudrais surtout l'aborder en rapport avec les problèmes que le pluralisme artistique a soulevés pour la théorie esthétique, et en particulier pour la théorie esthétique kantienne qui a plus ou moins dominé les débats jusqu'à cette décennie où le pluralisme est devenu le véritable moteur de l'art. Par "théorie kantienne", j'entends cette thèse selon laquelle l'excellence artistique ne fait qu’un avec l'excellence esthétique, cette dernière devant être comprise comme relevant d’une notion de plaisir et de valeur distincte du plaisir des sens et intrinsèquement liée à l'idéal d'une contemplation désintéressée. Cela concerne ce que les esthéticiens classiques appelaient le "goût", et les grandes lignes de cette théorie sont exposées dans la section de la Critique du jugement esthétique intitulée "L'analytique du goût ", qui a servi d'autorité tutélaire à la théorie esthétique des temps modernes, et tout particulièrement, du moins pour ce qui concerne les Etats-Unis, à la pensée et à la pratique critiques de Clement Greenberg.
Mettant de côté les arts décoratifs qu'il analysait en termes de "beauté libre", Kant s'intéressait d'abord à la beauté naturelle qu'il associait naturellement aux arts visuels entendus comme étant soit des représentations exactes de la beauté naturelle, soit comme de belles représentations d'objets naturels eux-mêmes déficients en beauté. Car, en effet, quel serait l'intérêt de faire l'image d'objets repoussants ou imparfaits? Pour autant que je puisse en juger, telle n'était pas la position de Greenberg, dont l'intérêt principal était la peinture abstraite qu'il abordait selon le critère de la beauté "libre", l'avantage pour lui étant qu'il pouvait ainsi traiter l'art figuratif comme s'il était abstrait, et donc assujetti à l'analyse formaliste. Autrement dit, il appréciait la peinture selon ce qu'on pourrait appeler une esthétique du médium, puisque l'excellence picturale, voire "pictoriale" (painterly), est conditionnée par ce qui est propre aux qualités essentielles de ce médium, à savoir, selon Greenberg, un jeu de relations entre des formes planes, quelle que soit leur signification. La valeur esthétique est ce que ces formes transmettent à notre perception visuelle, en dehors de tout concept. Kant lui-même parlait du plaisir que pouvait fournir un objet indépendamment de tout concept. Pour Greenberg, seul comptait l'œil du critique, pourvu qu'il mît provisoirement entre parenthèse toute sa culture historique, et le travail de l'artiste consistait à éliminer de sa peinture tout ce qui ne serait pas adressé à cet œil du critique. Le but était de produire une beauté pure pour une délectation contemplative.
L'impact de l'esthétique moderniste greenbergienne sur les "professionnels de l'art" aux Etats-Unis fut immense. Le plus étonnant est que le pluralisme ait simplement pu voir le jour dans un contexte où les "professionnels" greenbergiens monopolisaient tout le pouvoir et toute l'autorité du monde l'art, du moins pour ce qui concerne l'art visuel contemporain. Pourtant, pour des raisons historiques qui m'échappent, l'esthétique de Kant-Greenberg commença à céder du terrain à la fin des années 1950 et devint intenable au moment même où Greenberg en publiait la formulation la plus mûre dans son essai de 1960 intitulé "La peinture moderniste". Dès 1961, Robert Rauschenberg évoquait, dans le catalogue de l'exposition "Sixteen Americans" au MoMA de New York, la nécessité jusque-là occultée d'effacer désormais la frontière entre l'art et la vie (Kant aurait plutôt effacé la frontière entre l'art et la réalité, pour autant que tous deux fussent beaux). Dans la pratique artistique de Rauschenberg, cela revenait à négliger tout à fait les impératifs du médium et à se donner toute liberté de faire de l'art avec tout ce qui lui tombait sous la main: des chaussettes, des bouteilles de Coca-Cola, des pneus, des animaux empaillés, etc. Bref, "n'importe quoi". La pureté du médium était périmée pratiquement au moment où on la proclamait…
L'esthétique n'est pas devenue sans objet quand le modernisme a pris fin dans les années 1960, mais le genre de qualité esthétique présupposé par la conception de Kant-Greenberg a presque certainement disparu, laissant la place à ce qu'on peut penser comme un pluralisme des modalités esthétiques. Il y a, par exemple, une esthétique rauschenbergienne qui est presque diamétralement à l'opposé du genre d'excellence esthétique que Kant et Greenberg tenaient pour acquis. C'est l'esthétique du sale et sans ordre exemplifiée par Bed, où Rauschenberg a badigeonné de peinture les draps et le couvre-lit en patchwork qui constituent la matière même de l'œuvre. Il a appliqué la peinture, telle que l'utilisaient les expressionnistes abstraits, à un objet habituellement associé à la propreté et au soin domestiques, comme dans les hôpitaux, dans les chambrées, ou bien encore, comme l'a dit une fois Matisse, dans ces chambres où l'on fait "un ménage de tantes de province". Le "grunge" est cette esthétique du désordre arborée par les adolescents en rébellion, et il ne fait guère de doute qu'un tel goût peut être encouragé et même exploité par la vente de blue-jeans déchirés, de tee-shirts fripés et de maillots de sport à des jeunes gens qui souhaitent se trouver une identité dans un style d'un négligé affecté.
L'ambition principale de Kant était de combattre ce qu'on pourrait appeler un pluralisme du goût, c'est-à-dire cette conception commune et quelque peu cynique selon laquelle la beauté est dans l'esprit de chaque spectateur et les différences de goût fonction de leurs différences d'esprit. A juste titre, Kant entreprit de démontrer que la beauté est et doit être la même pour tous. Il s'agissait d'une espèce de colonialisme esthétique—ainsi, les sociétés dites primitives avaient tout simplement un goût esthétiquement rétrograde—, et cela devint le fondement de cette vision de la supériorité du goût occidental plus tard caractéristique de l'anthropologie victorienne. Greenberg était convaincu que sa pratique critique était justifiée par la Critique du jugement esthétique de Kant, qu'il décrivait souvent comme le plus grand livre jamais écrit sur l'art. A vrai dire, la justification pourrait bien s'être faite dans l'autre sens: on pourrait, en effet, considérer que c'est le succès remarquable des jugements critiques de Greenberg qui a justifié les formules par ailleurs excessivement abstraites de Kant qui se trouvaient confirmées de manière surprenante par un corpus pictural pratiquement inimaginable à son époque.
Deux arguments kantiens vont tout particulièrement dans le sens de la pratique critique de Greenberg qui en est venue à représenter les attitudes esthétiques dominante de l'École de New York. Le premier est cet argument kantien que les jugements de beauté ne sont pas conceptuels, le second qu'ils sont universellement valides—autrement dit qu'ils ne peuvent être en aucun sens simplement personnels. Greenberg ne parlait pas souvent de la beauté. Il s'intéressait à ce qu'il appelait la "qualité" en art, ce qui voulait dire que ses vues ne pouvaient guère être appliquées à l'esthétique de la nature, qui, elle, bien sûr, aurait été l’enjeu majeur pour Kant. En 1961, il a écrit que "la qualité en art ne peut être ni affirmée ni prouvée par la logique ou le discours. Seule l'expérience règne en ce domaine, et même, si l'on peut dire, l'expérience de l'expérience." Le point de vue de Greenberg, ici, est essentiellement le même que celui de Hume: la qualité est ce que les critiques qualifiés s'accordent à dire bon.
Greenberg chérissait Kant parce qu'il expliquait comment il est possible d'avoir ou tort ou raison à propos de questions de mérite esthétique. Il ne pensait pas qu'il fût nécessaire de disposer d'un savoir comme l'histoire de l'art pour avoir raison ou tort en matière d'art. Il pensait même que le modernisme avait offert de nouvelles possibilités d'apprécier "toute sorte d'arts exotiques négligés il n'y a pas cent ans, qu'il s'agisse d'art ancien d'Egypte, de Perse ou d'Extrême-Orient, ou d'art barbare ou primitif." Ce qui fait un art de qualité n'a rien à voir avec les circonstances historiques. Il se vanta un jour que, bien qu'à peu près ignorant en matière d'art africain, il serait capable à peu près à tout coup d'identifier les deux ou trois meilleures pièces parmi un ensemble qu'on lui présenterait. Il n'était pas nécessaire que ces pièces fussent les meilleures selon les critères appliqués en cette matière par les africains eux-mêmes, mais cela était sans doute dû au fait que ces derniers étaient tributaires de croyances qui n'avaient que peu de rapport avec les qualités esthétiques telles que lui les entendait. Il n'y avait à ses yeux pas grand chose à dire devant une belle œuvre d'art, sinon un "oh!" d'admiration. Mais cela ne signifiait en aucun cas qu'il s'agissait simplement de laisser libre cours à ses sentiments après avoir admis que le discours esthétique était non-cognitif, comme l'auraient dit les positivistes parmi les philosophes contemporains de Greenberg. En revanche, que ce discours fût non-conceptuel, la pratique de Greenberg le confirmait, qui consistait à fermer les yeux puis à ne les rouvrir qu'une fois l'œuvre à juger placée devant lui. Ce qui dans l'instant lui sautait aux yeux, comme un éclair aveuglant, avant même que son esprit n'eût le temps d'interposer des associations externes, c'était ce sur quoi reposait l'expérience esthétique.
L'"esthétique maison" de Greenberg s'est trouvé validée par son aptitude réelle à identifier les qualités artistiques, et notamment par sa défense de Jackson Pollock, à une époque où bien des critiques résistaient à l'art abstrait en tant que tel—et ceci incluait les critiques d'art conservateurs des quotidiens newyorkais les plus importants, tels John Canaday au New York Times et Emiliy Genauer au New York Herald-Tribune. "Ils n'ont aucune légitimité en matière de jugement sur l'art abstrait, parce qu'ils ne se sont pas donné la peine d'en faire l'expérience de manière suffisamment approfondie. Sans cette expérience qui permet de distinguer le bon du mauvais art abstrait, nul n'a le droit de se faire entendre à son propos." Mais les critiques européens étaient aussi visés, comme David Sylvester, qui finit par se rallier à Greenberg concernant la prééminence de Pollock ("Mais qu'avais-je donc à la place des yeux?"). Greenberg était cet "intellectuel newyorkais de haute volée" mentionné dans le numéro de 1949 du magazine Life qui rendit Pollock célèbre. L'acceptation généralisée de son jugement sur Pollock avait alors toutes les qualités apparentes d'une preuve scientifique. Elle lui donna une autorité immense et un grand pouvoir dans le monde de l'art.
Là où Greenberg et Kant se trompent—le second étant plus excusable, à cet égard—, c'est quand ils se montrent incapables de reconnaître qu'il existe un ensemble pratiquement infini de qualités esthétiques, ce qui finit par être reconnu quand les philosophes du langage s'intéressèrent au vocabulaire de l'esthétique, à peu près à la période où Greenberg dominait les discours critique aux Etats-Unis. J'ai tout particulièrement à l'esprit une remarque de J.L Austin: "Comme il est souhaitable que nous oubliions un peu le beau pour nous intéresser plutôt au délicat et au repoussant." Elle se trouve dans son article capital de 1956, "Plaidoyer pour les excuses", où il décrit sa pratique philosophique comme une phénoménologie linguistique. Pour l’essentiel, cela revenait à étudier les règles qui régissent notre utilisation du langage—se demander "ce que nous disons quand…" pour utiliser le slogan de la philosophie du langage ordinaire—et certaines découvertes intéressantes ont été faites par des gens comme Frank Sibley qui essaya de démontrer que les prédicats esthétiques n'obéissaient à aucune règle. Il eut été intéressant de savoir s'il sagissait là d'un critère de la classe des prédicats esthétiques—à commencer par "beau", "délicat", "repoussant", répugnant"—et sinon, de savoir quels sont ses critères, si jamais il y en a.
La phénoménologie linguistique n'a pas survécu à Austin, mort en 1960, l'année même où Greenberg publiait "La peinture moderniste". Dans la décennie suivante, l'esthétique passa au second plan de la philosophie de l'art, notamment, je dois l'avouer, avec mon article de 1964, "Le monde de l'art", qui était inspiré par le Pop Art et, dans une moindre mesure, par le Minimalisme. Avec les travaux de Richard Wollheim et notamment de George Dickie, la définition de l'art devint la question centrale, et depuis elle a tenu plus ou moins lieu de projet principal pour la philosophie analytique de l'art. Il est intéressant de noter le rôle mineur de l'esthétique dans cette recherche collective, un rôle presque aussi mineur que celui des qualités esthétiques dans la production et la critique artistiques dans un monde en voie de globalisation, que ce soit aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne, au Japon et finalement partout où, jusqu'à aujourd'hui, on fait de l'art. Les artistes qui ont eu la plus grande importance philosophique sont Duchamp, Warhol, Eva Hesse, les minimalistes et les conceptualistes, dont les œuvres ont une dimension esthétique négligeable. Et puisque la définition de l'art devait en passer par les readymades et les Boïtes Brillo, dont les qualités esthétiques étaient au mieux marginales, on en venait à se demander si l'esthétique avait vraiement quoi que ce soit à voir avec l'art. Ainsi s'opéra un bouleversement proprement révolutionnaire, puisque dès le début il avait paru évident que l'art avait tout à voir avec le plaisir esthétique.
J'ai moi-même fait preuve d’une certaine dureté dans cette mise en question de l'importance de l'esthétique pour l'art. Dans mon principal livre de philosophie de l'art, La Transfiguration du banal, j'en suis venu à soutenir qu'il y avait deux conditions que je pensais nécessaires à une définition philosophique de l'art: que l'art est à propos de quelque chose, et donc qu'il a une signification; et puis, que cette signification prend corps dans une œuvre d'art et que c'est à cela que s'intéresse la critique d'art. J'ai condensé cela en une formule qui décrivait les œuvres d'art comme des significations incarnées. Dans mon dernier livre, The Abuse of Beauty, j'ai plus ou moins reconnu la découverte d'Austin selon laquelle l'esthétique couvrait un champ plus large que ce qu'on lui reconnaissait traditionnellement, et je me suis demandé s'il n'y avait pas une troisième condition nécessaire, à savoir que, pour être une œuvre d'art, une chose doit avoir quelque qualité esthétique—et si ce n'est pas la beauté, alors ce sera la répugnance, et si ce n'est pas la répugnance, alors ce sera autre chose. Mais j'ai fini le livre sur une note de scepticisme quant à la nécessité pour l'art d'avoir une quelconque qualité esthétique. Cependant, j'ai introduit une distinction qui mérite d'être soulignée entre beauté interne et beauté externe, et, par induction, entre interne et externe, quel que soit le prédicat esthétique applicable.
Voici ce que j'entendais par beauté interne. La beauté d'une œuvre d'art est interne quand elle contribue à la signification de l'œuvre. J'en ai donné plusieurs exemples puisés dans l'art contemporain, dont l'Elégie pour la République espagnole de Robert Motherwell et le Mémorial aux vétérans du Vietnam de Maya Lin, qui se trouve à Washington. Dans un article postérieur, j'ai suggéré qu'un très bon exemple de beauté interne était la manière dont Jacques-Louis David utilisait la beauté en peignant beau le corps de Marat dans Marat assassiné, qui ressemble à une Descente de croix (Fig.2, David, La mort de Marat). La beauté de Marat était semblable à la beauté du Christ, et le tableau signifiait que Jésus/Marat était mort pour le spectateur, celui-ci devant reconnaître la signification de ce sacrifice en suivant leurs préceptes. Si la beauté d'une œuvre d'art n'est pas interne, alors elle est littéralement dépourvue de sens, c'est-à-dire qu'elle n'est, pour citer Kant, que "beauté libre" et pur décoratif. Bref, j'ai essayé de me libérer de l'esthétique de la forme de Kant-Greenberg et d'y substituer une esthétique de la signification. C'est là qu'on est en mesure de reconnaître que la distinction interne/externe s'applique à tout le champ des qualités esthétiques sur lequel Austin et les esthéticiens du langage ordinaire ont attiré l'attention au début des années 1950. Considérons à nouveau le repoussant. Chez certains artistes—Dieter Roth est un bon exemple—, le repoussant signifiait simplement que l'œuvre était volontairement anti-esthétique, au sens où elle était opposée à la beauté. Quand Roth vit l'exposition de Jean Tinguely à Bâle, en 1962, ce fut pour lui comme une véritable expérience de conversion. "Tout était si rouillé, si déglingué et faisait tellement de bruit, déclara-t-il plus tard. J'en suis resté comme à demi mort, tellement j'étais impressionné. C'était un monde tellement différent de mon contructivisme, quelque chose comme un paradis que j'avais perdu." Dans un sens, la quête de Roth, dès lors, fut de recréer un paradis d'enfance perdu, fait de détritus, de bruits et d'odeurs désagréables. Il était passé d'une esthétique kantienne à une esthétique anti-kantienne. La même chose était arrivée à Duchamp, lorsqu'il avait appliqué aux readymades le critère du degré zéro de l'intérêt esthétique, signifiant en cela qu'ils ne devaient causer à l'œil ni plaisir ni douleur. Ils étaient non-esthétiques, du point de vue étroit de l'"analytique du goût", mais ils étaient tout à fait esthétiques dans la perspective élargie qui devait s'ouvrir avec les années 1960, quand l'esthétiquement indifférent devint une qualité esthétique interne à la signification des readymades et devint lui-même un objet de goût, à la manière du repoussant pour Dieter Roth.
On peut dire qu'il y a une esthétique des images readymades, du genre de celles dont Ágnes Eperjesi fait son art. Elle n'est pas facile à décrire, mais relativement simple à reconnaître. Cela est probablement dû aux contingences du design, lui-même conditionné par la nécessité que ces images soient facilement lues et comprises dans le monde entier. Pour prendre un cas formellement comparable, on reconnaît facilement une certaine esthétique dans ces images grossièrement dessinées de publicités toutes simples qu'Andy Warhol utilisa dans sa première exposition d'avril 1961, dans les vitrines de Bonwitt Teller, le magasin d'articles féminins de la 57ème rue, à New York. Il s'agissait de prospectus imprimés sur du papier bon marché, vantant des remèdes contre l'acné, la calvitie, la timidité et autres affections des sans-amour. (Fig. 3, Andy Warhol, Before and After.) C'est l'esthétique des "pubs bon marché en noir et blanc", qui s'explique par la nécessité de souligner les défauts qui pourraient inciter le regardeur à acheter le produit vanté. Mais cette esthétique devient interne aux œuvres que Warhol en a fait, tout comme l'esthétique des images pour emballages devient interne aux œuvres qu'Ágnes Eperjesi élabore à partir d'elles. Les deux corpus exhibent leur origine et en tirent une signification, bien que cette signification ne recouvre pas la totalité du sens de l'œuvre de chacun de ces artistes.
Ce qui ressort de cette enquête, c'est que la réponse à la question de savoir si l'esthétique survit dans une ère pluraliste est à la fois oui et non. C'est non si l'on pense à l'esthétique du goût et de la contemplation désintéressée de Kant-Greenberg. C'est oui si l'on pense à la manière dont différentes qualités esthétiques, bon nombre d'entre elles contraires au goût conçu par Kant et Greenberg, sont internes à la signification d'œuvres d'art conçues comme des significations incarnées. Bref, l'ère du pluralisme nous a ouvert les yeux sur la pluralité des qualités esthétiques, infiniment plus que l'esthétique traditionnellle n'était même en mesure de le supporter sans dommage. Par ailleurs, je dirais que chacune de ces qualités esthétiques est aussi objective que la beauté l'était selon Kant. L'esthétique est dans l'esprit du regardeur, mais seulement à la manière dont Hume entendait que les qualités sensibles sont dans l'esprit du regardeur.. "La beauté des choses existe dans l'esprit," écrivait-il, mais cela ne la distingue en rien de quoi que ce soit d'autre, dans la mesure où "les goûts et les couleurs et toutes les autres qualités sensibles ne sont pas dans les corps mais (in it from any sensory qualities???):
C'est la même chose avec les qualités de beauté et de difformité, de vertu et de vice. Cette doctrine, cependant, ne retire rien de plus à la réalité des dernières qu'à celle des premières… Même si l'on estimait que les couleurs ne résident que dans l'œil, les teinturiers et les peintres en seraient-ils pour autant moins considérés ou estimés? Il existe une uniformité suffisante dans les sens et les sentiments de l'humanité pour que ces qualités soient toutes objets de l'art et du raisonnement et qu'elles aient la plus grande influence sur la vie et les mœurs.
Mais, au point où nous en sommes maintenant, il me faut reconnaître quelque mérite à Kant, dont les considérations sur les œuvres d'art prennent un tour très différent dans un livre ultérieur de la troisième Critique, le superbe paragraphe 49 intitulé "Des facultés de l'esprit qui constituent le génie," où il introduit son concept des Idées esthétiques. Le Kant du paragraphe 49 de L’Analytique du sublime n'est pas le Kant de l'esthétique kantienne qui est presque entièrement fondé sur l'"Analytique du goût." Je dois à Kant—et à moi-même—de montrer combien mes vues sont proches de celles qu'il expose dans ce paragraphe, dont l'existence à elle seule prouve que Kant tenait compte des profonds bouleversements romantiques en gestation au sein-même de la culture des Lumières. Il se rendait certainement compte que le goût seul n'était pas le fin mot de l'histoire en matière d'art: "Nous disons de certaines productions dont nous attendons qu'elles nous apparaissent au moins en partie comme du bel art qu'elles sont sans âme, alors même que nous ne trouvons rien à leur reprocher en ce qui touche au goût." Par âme (Geist), il entend "le principe qui apporte la vie dans l'esprit." Cette âme, continue-t-il, "n'est autre que la faculté de présenter des Idées esthétiques." C'est caractéristique de Kant d'aller chercher une nouvelle faculté pour rendre compte d'une différence, quand la différence, si l'on peut dire, est en réalité ontologique. Il se trouve qu'une "Idée esthétique" est en réalité une idée à laquelle on a donné un corps sensible (en effet, Kant utilise "esthétique" comme le faisait Baumgarten, chez qui cela signifie généralement "ce qui est soumis aux sens"). Le plus étonnant est qu'il soit tombé sur quelque chose qui est à la fois éprouvé par les sens et de nature intellectuelle—c'est une signification que nous saisissons par les sens, et non une couleur, un goût ou un son.
Kant donne en exemple un des poèmes français de Frédéric le Grand, que nous sommes enclin à négliger dans l'idée que le philosophe écrit ici en courtisan flattant son monarque, alors qu'en fait ce poème, quels que soient ses mérites réels, fait ce que la poésie fait souvent, à savoir qu'il signifie une chose en en disant une autre. Le roi y parle de "finir sa vie et mourir sans regret" à travers l'image d'une belle journée d'été qui s'achève paisiblement. C'est assurément là un usage banal du langage poétique qui n'a rien à voir avec le génie, contrairement à ce que Kant semble penser. L'"Idée esthétique" est simplement une signification délivrée par le biais d’une autre signification, comme dans l'ironie ou la métaphore. Nous nous rendons compte que le poète, en l'occurrence le souverain de Kant, nous parle du déroulement d'un jour pour évoquer le cours d'une vie. C’est une belle pensée, qui n’est en rien dépendante de la beauté des mots qui la formulent.. Cet exemple poétique vient juste après deux exemples tirés des arts visuels: Jupiter représenté comme un aigle tenant la foudre dans ses serres et Junon sous la forme d'un paon (un mâle à y regarder de près car pourvu d'une splendide roue de plumes). Le pouvoir de Jupiter est rendu par le fait que la foudre ne se laisse pas habituellement saisir, et que donc un être capable de la tenir ainsi doit être détenteur d'un pouvoir extraordinaire. L'image nous dit plus que la seule phrase: "Jupiter est tout-puissant." Présentant l'idée de pouvoir esthétiquement, c'est-à-dire, par l'intermédiaire d'une image, "donne l'occasion à l'imagination de s'étendre à un certain nombre de représentations apparentées qui suscitent plus de pensée que ne peut s'en exprimer dans un concept cerné par des mots."
C'est à propos de l'expression des "idées esthétiques" que Kant parle de l'"âme" et de "l'imagination libre de toute règle contraignante, quoique orientée vers la présentation d'un concept donné." Tout ceci était déjà dans l'air du temps dans les années 1790, au moment où il publia sa troisième Critique. Par exemple, en 1792, Francisco Goya formula une série de propositions visant à réformer l'Académie royale de San Fernando, dont il était alors le directeur adjoint. Son principe fondamental dut alors paraître totalement contraire au concept-même d'académie. No hay reglas en la pintura. Il n'y a pas de règles en peinture. Il s'ensuit en particulier qu'il est impossible de fonder la pratique de la peinture sur le canon de la sculpture grecque, ni sur aucun autre ensemble de paradigmes. Son texte s'achevait par un plaidoyer pour que l'on laissât le "génie" des élèves "se déployer en toute liberté, sans l'étouffer, et que l'on utilisât des moyens qui les détournent de cette tendance qui consiste à leur montrer comment atteindre tel ou tel style de peinture." Historiquement, ce texte marque un tournant, celui qui mène Goya de son néoclassicisme de jeunesse au romantisme de sa maturité. Mais il exprime également une vérité profonde sur l'art: l'art suppose une originalité profonde et ne peut s'enseigner.
Les idées esthétiques n'ont pas grand chose à voir avec l'esthétique du goût, et elles sont ce qui manque totalement à la vision de Greenberg qui parlait rarement de la signification dans ses propos sur la qualité dans l'art. En un sens, l'esthétique, applicable à la beauté naturelle et physique, n'a que peu de chose à voir avec l'art qui, à l'époque de Goya, consistait, dans les académies, en une imitation, par exemple en copiant des moulages en plâtre censés être des paradigmes de beauté classique. Il n'y a rien de tout cela dans son chef-d'œuvre, Los Caprichos. On aura beau les redécrire de toutes les manières, ils passeront difficilement pour des glorifications de la beauté idéale. Le "Caprice" donne corps à l'idée d'âme, mais je voudrais attirer l'attention sur la présentation de ces œuvres qu'il a publiée dans le Diario de Madrid. Il y revendique pour la peinture le droit de critiquer l'erreur humaine et le vice, "bien qu'une telle critique soit habituellement considérée comme de la seule province de la littérature." Si, comme il le dit, "no hay reglas en la pintura," aucune règle n'empêche d'utiliser la peinture pour "présenter un miroir" aux "innombrables faiblesses et folies que l'on trouve dans toute société civilisée." Greenberg aurait rejeté cela comme n'ayant absolument rien d'essentiel à voir avec les arts plastiques. L'adjectif "littéraire" tenait lieu de rejet critique dans le vocabulaire de Greenberg et dans le vocabulaire formaliste en général.
Je pense, quant à moi, que le rapport entre l'esthétique et l'art a toujours été externe et contingent. L'avénement du pluralisme n'a rien changé à cet égard. Mais la théorie des significations incarnées, ou de "la présentation esthétique des idées," montre clairement comment les qualités esthétiques peuvent contribuer à la signification de l'œuvre qui les possède. C'est cela, j'en suis certain, dont Hegel a eu l'intuition quand il a expliqué, au début de son cours d'esthétique, pourquoi la beauté artistique est "supérieure" à la beauté naturelle: c'est parce que la beauté naturelle n'a pas de signification. Notons à ce propos que Kant n'aurait pu accepter cette idée, puisque pour lui la beauté naturelle est symbole de moralité et nous donne à voir que le monde n'est pas indifférent à nos espérances. La beauté, à ses yeux, a une espèce de signification théodicale, comme l'a récemment écrit le philosophe Fred Rush. Peindre la beauté naturelle, comme dans les toiles immenses de la Hudson River School, visait à fixer ce type de signification. Mais la présence de cette signification dans ces œuvres est interne à leur beauté en tant qu'art. Et cela, on peut l'accepter sans pour autant qu'il soit nécessaire de croire un seul instant que la nature elle-même est le message divin transmis par le truchement de montagnes et de chutes d'eau puissantes.
Les œuvres de 1961 d'Andy Warhol que j'ai mentionnées plus haut sont porteuses d'idées esthétiques, même si elles n'ont pour qualités esthétiques que ce que peut offrir la pauvreté matérielle de publicités bon marché. Ces œuvres nous parlent de nos petites misères corporelles et de la promesse que, pour quelques dollars de plus, nous retrouverons le teint clair, le cheveu dru et brillant et que l'amour et le bonheur croiseront enfin notre chemin. Ce qu'Ágnes Eperjesi a découvert dans les emballages jetables des produits de consommation, c'est autant de portraits de la société dans laquelle ces produits sont utilisés. Il s'agit de portraits readymade ou, mieux encore, de readymades assistés, comme son ironie désabusée le montre bien. Sous une image de ce qui ressemble à une mariée voilée—qui pourrait tout aussi bien être le négatif de la photographie d'une image d'une femme au mouchoir—, elle écrit: "De temps en temps, j'ai quelque chose dans l'œil. Je peux alors laisser libre cours à mes sentiments" (Fig. 4, Agnes Eperjesi, Femme au mouchoir). L'image innocente, voire sans intérêt, d'une femme au mouchoir est transformée en une représentation psychologique de sentiments réprimés et en un commentaire sur la répression qui s'exerce au nom de la sauvegarde des apparences.